Un homme vit paisiblement à la campagne avec sa femme Livia, son chien Pablo et le chat Lennon. Pour cet écrivain parvenu à l’aube de la vieillesse, l’essentiel n’est plus tant dans ses actions que dans sa façon d’habiter le Monde, et plus précisément dans la nécessité de l’amour. À intervalles réguliers, il reçoit la visite de son frère malheureux, éprouvé par la schizophrénie. Ici se révèlent, avec une indicible pudeur, les moments forts d’une relation fraternelle marquée par la peine, la solitude et l’inquiétude, mais sans cesse raffermie par la tendresse, la sollicitude.
Il existe de ces écrits qui nous laissent au fond du cœur un merveilleux
souvenir de lecture et Le roitelet en fait partie car les mots qui se
glissent au fil des pages nous restent en mémoire longtemps. Et laissez-moi
vous dire que ceux de Jean-François Beauchemin se savourent doucement comme le
plus succulent dessert que l’on déguste par petites bouchées afin que le
plaisir demeure.
J’avoue qu’il m’est difficile de venir vous parler de ce récit car mes mots ne sauraient refléter à leur juste valeur ceux de l’auteur. Tout simplement parce que les mots de l'écrivain sont beaux, profonds et que Beauchemin sait très bien les étaler page après page. Puis, parce qu'il sait si bien raconter autant l'émerveillement que l'inquiétude, autant son amour pour Livia que sa tendresse fraternelle envers son «roitelet» et, autant ses beaux souvenirs comme ses doutes et espoirs, je vais terminer ce petit billet en vous déposant quelques extraits débordant de douceur et sensibilité. Bref, comme ce merveilleux bouquin se découvre plus qu'il ne se résume, je vous en conseille la lecture sans hésitation.
« Parfois, rien n'arrive et c'est un enchantement. S'endormir sur le sofa avec une oreille de chien sur la joue. Ne rien dire, écouter les gens parler de leur vie, se souvenir, expliquer, retracer en eux-mêmes le trajet qui les a menés où ils sont. […]Repenser à mon père qui chante dans son vieux complet démodé, à tous ces gens debout à ses côtés dans l'au-delà et qui tiennent leur coeur dans les mains. »
« Hier
soir, tandis qu’il marchait à mes côtés dans la campagne, mon frère, comme
devinant ma pensée, m’a dit ces choses troublantes: «On dirait que Dieu, après
avoir visité ma vie, en est reparti en éteignant la lumière.
C’est en vain que je l’appelle et le prie d’y rétablir l’éclairage. » Puis,
montrant du doigt les champs environnants:
«Regarde un peu ces lucioles. Elles clignotent dans la nuit pour se reconnaître
entre elles. Mais moi, je ne suis la lampe de personne. »
« Oui,
c'est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont
l'or et la lumière de l'esprit s'échappaient par le haut de la tête. Je me
souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire
nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères,
pourrait-on dire ».
« Une
heure s'était écoulée lorsqu'à la fin j'ai enroulé mon frère dans la serviette
et saisi le peigne pour au moins tenter de donner une forme à cette chevelure
insurgée. C'est ce moment qu'il a choisi pour prononcer ces mots déchirants de
lucidité : «Je suis un puits sans fond. J'ai beau fouiller en moi, je
n'aperçois rien qu'une nuit profonde. Je suis perdu. » Et moi, l'écrivain,
le spécialiste des mots, je n'ai pas su quoi lui répondre. »
« La vie passe, m’a dit ce matin mon frère une fois achevée sa lecture de mon manuscrit. La vie passe, banale, insignifiante, et pèse pourtant à ce point sur la pensée, le caractère et l’âme qu’elle finit par leur donner une raison d’être. Oui, presque rien n’arrive dans cette histoire, mais tout y a un sens. »
Le roitelet, Jean-François Beauchemin
Québec Amérique, 2023
6 commentaires:
Je n'ai pas encore lu cet écrivain pourtant souvent croisé sur les blogs. Tu confirmes mon envie de le découvrir. On m'a conseillé (pour "mes 20 ans" !) "Le jour des corneilles" que je vais donc lire d'ici quelques temps et j'espère être aussi sous le charme.
@ Bonjour gentille Sandrine
En effet ''Le jour des corneilles'' serait aussi une très belle découverte de la plume de Beauchemin. (Il fait partie de mes relectures). Mais, peu importe, les mots de cet écrivain valent le détour. Bonne(s) future(s) lecture(s).
En lisant les puissants et profonds extraits que tu as choisis, je comprends que cette lecture soit difficile à commenter, mais cela dit tu donnes très envie de le découvrir, c'est un très beau coup de cœur que tu nous partages. Je t'embrasse ma Suzanne.
@Florinette
Il y a dans ce petit bouquin plein, plein de douceurs et de tendresse. Un écrivain qui puise ses mots à l'encre de son coeur. Je te le conseille fortement.
Une lecture qui fut pleine d'émotions et un livre qui a fini hérisson.
@ Alex mots à mots
Bonjour Alex, j'avoue que je ne saisi pas bien cette expression: fini en hérisson!!
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